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My own private keepsake
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#greghousediary : En route vers las vegas (2)

#greghousediary : En route vers las vegas (2)

#greghousediary : En route vers las vegas (2)
En route vers Las Vegas (2)

Il n’est pas dans mes habitudes de me lâcher de la sorte et de faire étalage de mes souvenirs, de manière si abrupte. Je crois n’avoir jamais parlé de moi autrement qu’en faisant un usage immodéré de métaphores ou bien sous l’emprise de cocktails et de substances dangereusement oxymoriques.

Le besoin de parler de moi ne se fait jamais sentir, à de rares exceptions près - mais chaque fois à des moments inappropriés. Je me souviens avoir maintenu un amphithéâtre entier en état de transe, il y a deux ou trois ans, simplement parce que j’avais ressenti la nécessité, devant les regards interrogateurs braqués sur ma jambe, d’éclairer leur lanterne tout en restant aussi évasif que possible.

Pour l’heure, personne ne me regarde. Je suis paisiblement enfermé chez moi, ce week-end. Une pluie fine de début d’automne tombe sans discontinuer sur le New Jersey depuis quelques jours. Le moment me semble d’autant plus propice aux confidences que je n’ai rien d’autre à faire que penser et restituer.

(N’allez pas imaginer pour autant que ça deviendra une manie, vous prendriez le risque de me rendre irritable par vos demandes multiples et pressantes.)

***

Vous vous en doutiez. Prescott a accueilli ma proposition avec frénésie. J’étais revenu sur le campus, nous nous étions retrouvés dans notre chambre lorsque je lui avais fait part de mes projets.

Il a sorti une carte et l’a étalée sur son lit. Du doigt, il a parcouru les quelques 3000 kilomètres qui nous séparaient de l’état du Nevada.

« Je pense que nous aurons notre compte de paysages désertiques, après ça, a-t-il dit fiévreusement. Après avoir empoché le jackpot, nous gagnerons le Mexique en traversant la Californie plutôt que l’Arizona, non ?

Ça ne me dérangeait pas. Nous allions emprunter une grande partie de la route 66 en la prenant à sa source, dans l’Illinois, ce qui donnait à notre petite virée un caractère aventurier qui n’était pas pour me déplaire. Je me posais juste la question de savoir si mon Dodge résisterait au périple. Il était hors de question que je fasse appel à mes parents pour assumer le montant d’éventuelles réparations.

Comme s’il avait senti ce qui me préoccupait, Prescott est tout à coup revenu à des considérations plus matérielles.

- Rassure toi, Greg. J’ai trouvé un moyen d’alléger encore un peu le coût du voyage, a-t-il mystérieusement annoncé devant mon air préoccupé.

J’avais quand même une tendance naturelle à me méfier de toutes les bonnes idées de Prescott. La dernière en date, consistant à partager nos casiers au club sportif, m’avait valu de me retrouver entièrement nu, un soir, dans les vestiaires désertés. Le temps que Prescott percute qu’il m’avait abandonné sous la douche et était reparti au campus, avec les clefs du cadenas.

Comme il subsistait ce petit trait soucieux entre mes sourcils, il m’a assené une grande claque dans le dos, a ramassé son blouson, et m’a fait signe de le suivre en ouvrant la porte de la chambre.

Nous avons gagné le grand hall de la cité universitaire, celui que nous appelions familièrement l’enceinte de chasteté, car il séparait les bâtiments des filles de ceux des garçons. Nous avons atteint ensuite le bout du couloir, celui où se trouvait l’entrée d’une sorte de réfectoire, pompeusement nommé drugstore ; on y servait de jour comme de nuit, un café boueux qui détruisait l’estomac. Les lieux faisaient également office de fast food, pour ceux qui avaient survécu à l’épreuve du café.

A l’écart des brouhahas de la salle, une jeune fille qui ne m’était pas inconnue était assise seule à une table. Un gobelet de thé fumant devant elle, elle ne lisait pas, ne cherchait pas à se donner une contenance. Elle était simplement assise là, l’air rêveur, comme absent. A notre arrivée, son visage s’est éclairé. Elle s’est levée pour nous saluer. J’ai noté la chaleur de sa paume, l’éclat de ses yeux azur, lorsque nos mains se sont croisées.

- Greg, je te présente Lisa Cuddy, a annoncé Prescott triomphant.

Et il a pris place à côté d’elle, tandis que je me tirais une chaise, face à eux.

Il y eut un moment de silence empêtré entre nous trois. J’en profitais pour détailler Cuddy, que j’avais déjà remarquée, déambulant parmi les premières années, dans les couloirs de la fac de Médecine. Brune, la peau claire, séduisante. Elle portait un petit haut moulant qui laissait apparaître la naissance de sa gorge, plutôt généreuse, et qui déjà à l’époque attirait de nombreux regards de convoitise. Sa taille fine et élancée était cintrée par un jean à la coupe ajustée. C’était une fille simple, sans artifices. Il y avait aussi quelque chose en elle que je n’arrivais pas à cerner et me déstabilisait. Elle dégageait une sorte d’énergie saine et positive, une vitalité quasi palpable qui se propageait vers vous et dont la simple proximité vous donnait une pêche d’enfer.

- Je suis ravie de rencontrer enfin l’illustre Docteur House, déclara t-elle en souriant.

Un an auparavant, j’avais restitué en public les conclusions de mes premiers mois de recherche en psychiatrie. Elle avait été emballée par la clarté de mon intervention destinée aux premières années. En fait, l’université de Johns Hopkins comportait un programme assurant aux arrivants une sorte de parrainage et de guidance par les plus anciens du campus. Etant nommé officiellement médecin depuis un an, il était de mon devoir d’assurer quelques heures annuelles de formation aux nouveaux étudiants.

Un bref échange d’information me permit de savoir que Cuddy avait 22 ans seulement. Après avoir terminé ses études générales au Collège elle avait réussi avec succès son MCAT et avait été admise haut la main en Medical School à Johns Hopkins en 86. C’est Prescott qui m’informa sur le CV de Cuddy, dont il ne lâchait pas le décolleté du regard, au bord de l’apoplexie.

- Et tu sais quoi ? Lança Prescott subitement atteint de diarrhée verbale. Lisa nous accompagne à Las Vegas !

Son enthousiasme n’eut pas l’effet escompté sur moi. Je demeurais silencieux, fixant tour à tour mes deux interlocuteurs plongés dans une attente pleine d’appréhension.

- Si il y a une chose que j’aime particulièrement, ai-je annoncé calmement, c’est bien qu’on m’impose des choix. Il y a d’autres surprises que vous me réservez ? Je serai sensé changer vos draps entre chaque étape après vous avoir servi de chauffeur ?

Prescott s’est mis à toussoter d’une manière que bien des catarrheux lui aurait enviée, tandis que le sourire de Cuddy s’accentuait. Elle me toisait, comme fascinée par ce que je leur renvoyais : une attitude fermée, franchement hostile et vindicative.

- Ce n’est donc pas une légende, murmura t-elle un peu à part, pour elle-même, mais de manière à ce que j’entende. Têtu, égocentrique, arrogant, direct mais spirituel…

- Faut pas croire tout ce qu’on raconte à mon sujet. Ai-je répondu du tac au tac. Les cinq fois de suite sans débander, c’est uniquement quand je suis bourré…

Elle n’a pas rougi, ne s’est pas démontée, ni rien. Son regard restait accroché au mien comme si elle cherchait à y déceler la moindre trace de scrupule. Je dois dire que c’était peine perdue.

Prescott a bondi de sa chaise, est venu m’agripper par l’épaule pour me forcer à me lever et à le suivre. Il m’a entraîné à l’écart de la table, près du comptoir. Il avait l’air furieux après moi et consterné.

- Ne fais pas le con, House, m’a-t-il intimé. Nous ne sommes pas en position de refuser sa présence. On n’a pas de fric, alors c’est soit elle se joint à nous, soit c’est bye-bye Mexico…

- Dis plutôt que t’as envie de te la faire, ai-je ricané. Pas envie de vous chaperonner pendant tout le voyage, d’assister à vos coups de gueule et de me farcir tes humeurs lorsqu’elle t’aura refusé ta petite gâterie du soir. Désolé.

J’étais prêt à tourner les talons, dire adieu à mes projets, me rendre humblement chez le doyen pour le supplier de me dégoter un job dans l’urgence. Une fois de plus, Prescott m’a saisi par le bras, me suppliant de l’écouter.

- Je t’assure que je ne la toucherai pas, Greg ! S’est-il écrié au comble du désespoir.

J’allais vraiment l’envoyer paître, lui dire d’aller se faire voir ailleurs, de débarrasser ses affaires de notre chambre commune et de m’oublier tout à fait, quand soudain, je lançais un regard vers notre table où était toujours assise Cuddy et fus saisi par tout le comique de la situation.

Dans son accès de désespoir, Prescott avait parlé un peu plus fort que nécessaire et elle avait entendu. En fait, toute la cafétéria avait pu profiter de nos échanges. Au lieu de s’en offusquer Cuddy laissa fuser un rire franc, éclatant, plein d’une moquerie qui n’avait rien de condamnant. Le genre de moquerie qu’on pourrait avoir envers deux mômes un peu gauches qui se chamailleraient en public.

Elle ignorait probablement combien elle était irrésistible à ce moment là. J’aimais particulièrement la façon dont elle dissimulait sa bouche, du plat de sa main, l’écho de son rire qui emplissait toute la salle et gagnait peu à peu l’ensemble des gens présents. Il faut dire que nous étions en plein rush-hour.

Je me suis campé au garde-à-vous devant mon compagnon dont le visage venait de prendre une superbe teinte cramoisie.

- Tu peux me le jurer, John ? Ai-je demandé solennellement à Prescott, d’une voix forte et sentencieuse, de manière à ce que tout le monde puisse nous entendre.

Il a ouvert la bouche pour bredouiller quelque chose, puis comprenant sans doute que je me moquais de lui, il s’est détourné de moi avec un geste las. Dans mon dos, les rires de Cuddy avaient redoublé, ce qui n’était pas pour me déplaire.

- Va te faire foutre, House ! M’a soufflé hargneusement Prescott avant de quitter précipitamment le drugstore, sous les huées de certains de nos camarades de promo.

Je suis allé rejoindre Cuddy qui finissait tant bien que mal son thé. En fait, elle en avait renversé une bonne moitié sur la table.

- Je crois que cette petite excursion promet ! » S’est-elle exclamée joyeusement entre deux hoquets tandis que je reprenais place face à elle.

J’ai marqué un temps d’arrêt. Je pense que j’ai alors souri, avant d’approuver, débonnairement, que oui, en effet, ça promettait.

(à suivre)