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My own private keepsake
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#greghousediary : En route vers las vegas (5)

#greghousediary : En route vers las vegas (5)

#greghousediary : En route vers las vegas (5)
En route vers Las Vegas (5)

Je possède encore le brouillon de la lettre que je fis parvenir à John house le 17 juillet 1987.

Cher papa, disait-elle.

Je considère que tu as fait plus que largement ton devoir en ce qui concerne mon éducation.

Tu as raison, il est temps que je prenne mon avenir en main. Je te remercie de m’avoir offert la chance d’exercer un métier qui m’ouvre autant de portes.

Tu trouveras dans l’enveloppe un chèque de 150 000 dollars endossable immédiatement. Il couvre non seulement mes frais de scolarité à Johns Hopkins, mais aussi les quelques « à-côté » dont j’ai largement bénéficié grâce à votre générosité, pendant ces huit années.

Embrasse maman pour moi. Je viendrai probablement vous rendre visite pendant les fêtes de Noël.

Ton fils dévoué,

Greg

J’étais nu quand je l’ai rédigée, attablé dans la chambre du motel. Le soleil filtrait à travers les stores et venait souligner les courbes de Cuddy, encore endormie dans les draps froissés. Je m’étais silencieusement détaché de son étreinte à l’aube et elle avait protesté dans son sommeil, en me lâchant à contrecoeur. Lorsqu’elle a ouvert les yeux, un peu plus tard, j’étais entrain de finir de cacheter ma lettre, nos regards se sont croisés et elle m’a souri. J’ai posé l’enveloppe en évidence sur la table : le personnel de service se chargerait de la poster. Il m’a soudain semblé que je respirais mieux.

***

« Tous les crépuscules se ressemblent en Arizona, m’avait répondu laconiquement Jack Dumber la veille.

Ça ne m’aidait pas beaucoup et ne me sauvait pas de l’humeur massacrante qui me tenaillait depuis le réveil. Nous étions, tous les trois, Cuddy, Prescott et moi, passés récupérer le Dodge au garage local. Cuddy venait de s’acquitter du montant de la réparation, et de mon côté, ça n’allait pas très fort.

Lorsque nous étions sur le point de repartir, Dumber, relevant la visière de sa casquette crasseuse, nous avait interpellés.

- Vos destins sont liés, avait-il ajouté en nous regardant alternativement, Cuddy et moi.

Et pour cause, je lui devais maintenant 500 dollars. Nous n’étions pas encore à Las Vegas que ma dette enflait dangereusement. Devant nos airs incrédules, il avait cru bon insister. Essuyant ses mains pleines de cambouis sur sa salopette, il nous instruisit, le plus sérieusement du monde.

- Vous ne serez jamais très loin l’un de l’autre. Vous traverserez de nombreuses épreuves ensemble. Quelque chose est né, ici, entre vous. Ce sont les montagnes qui me l’ont raconté ce matin…

Cuddy avait commencé à se grignoter la lèvre inférieure. Prescott avait rageusement serré le poing en me regardant d’un air entendu.

- Les montagnes sont d’incorrigibles bavardes, ai-je répondu froidement au vieux navajo. Par contre, niveau clairvoyance, elles ont encore du pain sur la planche. Ce qui me préoccupe aujourd’hui est d’ordre beaucoup plus matériel.

Et j’étais sorti, plantant Dumber là, avant d’avoir droit au laïus sur le sempiternel manque de profondeur de l’homme blanc.

Nous étions à 500 kilomètres de Las Vegas. Nous devions quitter la route 66 à Kingman pour l’US 93 qui nous conduirait tout droit à notre but. Une simple promenade de santé compte tenu de ce que nous venions d’accomplir.

Dans l’habitacle de la Coronet, l’ambiance était grave. Cuddy me battait plus froid que la veille, Prescott, plein de doute, demeurait étrangement silencieux. Pour créer l’illusion que tout allait bien, j’avais monté le volume de la radio à fond.

Au kilomètre 432, nous avons atteint la frontière du Nevada. Creedence Clearwater Revival se mit à entonner la mélopée de I put a spell on you* au moment où le premier panneau indiquant Las Vegas apparut dans notre champ de vision.

Je grommelais un truc dans ma barbe, Cuddy me demanda de répéter :

- Je disais : Un signe de plus qui ne me pousse pas à rester optimiste… Répétais-je avec humeur.

- C’est juste une vieille chanson, rétorqua Cuddy en levant les yeux au ciel.

- Oh, vraiment ? J’ai cru un instant que c’était un message subliminal de la Nasa qui m’était destiné. Que deviendrais-je sans vous…

Elle a alors croisé les bras sur sa poitrine et n’a plus prononcé une seule parole jusqu’à notre arrivée à destination. Je crois bien que Prescott jubilait, à l’arrière.

***

Nous avions dégoté en arrivant un motel sur la 93, en direction de Wann. J’ai du lourdement insister auprès de Prescott pour qu’il me laisse seul en soirée, tenter ma chance au Stardust. Je venais de prendre une douche et de revêtir une chemise immaculée et un blazer anthracite par-dessus mes jeans. J’avais en poche les seuls 800 malheureux dollars que j’avais pu épargner. J’étais nerveux, évidemment. J’arpentais notre chambre en expliquant patiemment à Prescott que je voulais être tranquille, sans personne sur mon dos pour influencer mon jeu.

- Ca ne te ressemble pas d’être si superstitieux, avait râlé Prescott d’un air maussade. On était venu pour s’éclater, tu te souviens ?

Je m’étais arrêté un instant pour le considérer sérieusement.

- En ce qui me concerne, la suite des événements dépendra entièrement de ma réussite cette nuit. J’ai besoin de ce fric non pas pour aller le flamber sur la côte, mais pour que les années à venir soient un peu plus sereines… C’est beaucoup plus qu’un jeu, à mes yeux. C’est ma chance ultime de me bâtir un avenir sans rien devoir à… à…

- A ton père ? Avait ironisé Prescott.

- A personne, avais-je tranché.

Comment lui faire comprendre qu’il s’agissait de quelque chose de plus profond que d’honneur mal placé. Prescott avait des parents qui se saignaient aux quatre veines pour lui, et ça lui paraissait normal. Comment expliquer en quelques phrases un malaise que je ne comprenais pas moi-même. Je refusais de devoir quoique ce soit à John House parce que je sentais confusément que ce que j’avais à y gagner me sauverait.

Quelques heures plus tard, je foulais avec une joie triomphale le sol du Stardust. Il n’était pas loin de vingt heures. J’étais trop nerveux pour garder quoi que ce fût dans l’estomac. Après avoir récupéré mes jetons, au stand de change, je pris instantanément la direction des tables de roulette où régnait une effervescence hors du commun.

L’atmosphère n’avait rien de paisible. Une aura d'agressivité saturait l'air autour des jeux. Le brouhaha, les exclamations, les liasses de dollars, les regards patibulaires des vrais joueurs en veston cravate qui semblaient me jauger… J'étais fiévreux, anxieux, incapable de dissocier ma tension de celle des autres joueurs.

Je ne m’accordais pas le temps de réfléchir aux émotions qui me submergeaient. En écrivant cet épisode de ma vie, je revois le casino tourbillonner autour de moi comme un grouillement d'images et de sensations. Aujourd’hui encore, j’en ressens une sorte de nausée. Ce soir-là, je me rappelle avoir confié bien plus tard à Cuddy avoir vécu la plus hétéroclite de mes expériences. Peur et ivresse s'affrontaient au fond de moi, pourtant, j'avais hâte de rentrer dans le cercle privé des joueurs. J'espérais que mon inexpérience ne soit pas trop visible aux yeux des autres. Je fus admis à une table où les mises commençaient à 25 dollars.

A 22 heures, il ne me restait plus que 400 dollars de jetons en poche. J’avais cumulé pas mal d’erreurs et une fine sueur voilait mon front. Certains joueurs commencèrent à déserter la table pour aller se rafraîchir un peu. C’est alors qu’une vieille lady grinçante, dans la digne lignée de Cotton Club vint prendre place à côté de moi. Apparemment, aux égards que lui manifesta le croupier, qu’elle appela par son prénom, elle était habituée des lieux.

- Je vous donne une chance inespérée de vous refaire, jeune homme, me lança t-elle précieusement en guise de salut.

J’avais une ou deux remarques bien senties sur le bout de la langue, mais je n’étais pas en position de fanfaronner. La partie reprit son cours, nous n’étions que deux face à la roulette.

Ce fut une sorte d’aubaine. Mes gains augmentèrent graduellement, de manière exponentielle, lorsque par trois fois, j’eus la main heureuse et augmentais la valeur de mes mises.

Une heure plus tard, j’avais du mal à ceinturer les piles de jetons qui s’accumulaient autour de moi. Je venais de remporter la modique somme de 7000 dollars, ce qui n’était pas mal en soi, mais encore insuffisant. J’avais repris légère confiance en moi. La vieille lady fit mine de quitter la table, elle m’enjoignit à garder mon calme, me tapota amicalement les épaules, mais je demeurais sourd à ses tentatives de réconfort.

- Jeune homme, me glissa t-elle. Je sens à quel point la victoire est importante pour vous, mais permettez moi de vous donner ce conseil. Ne jouez jamais pour gagner : jouez pour le jeu !

- Que me conseillez-vous de faire ? Demandais-je avec des airs de gentleman, lui adressant un sourire ravageur.

Un sourire énigmatique flotta sur ses vieilles lèvres ridées, elle se pencha à mon oreille :

- Le tout pour le tout, me souffla t-elle. Misez tout, en une seule fois. Si vous attendez beaucoup, il faut savoir risquer beaucoup…

J’ouvris la bouche pour lui répondre. Les idées se bousculaient dans ma tête. Avec une expression bienveillante, elle se retira. Je demeurais pensif, attablé devant la roulette. D’autres joueurs venaient de prendre place à mes côtés.

Faites vos jeux ! S’exclama jovialement le croupier.

C’était juste. Sept mille dollars ne changeraient pas le cours de ma vie. Sans réfléchir, je poussais ma pile de jetons sur le tapis vert, sous les yeux ébahis des autres joueurs.

Ca allait marcher. Ca devait marcher. Je cessais de respirer, étudiais brièvement le plateau tournant en laiton …

- Tout sur le 7, annonçais-je d’une voix blanche.

Une rumeur enfla autour de la table. J’eus un instant de pure panique. Le croupier fit partir la roue, choquant la boule blanche d’un ultime à-coup cinglant.

Les jeux sont faits ! Rien ne va plus !

Je scrutais le plateau qui tournoyait interminablement. La boule blanche qui virevoltait sans s’arrêter… A cet instant, je me fondis dans le jeu. Je devins le jeu.

Il y eut une fraction de seconde de flou total où le sang s’arrêta dans mes veines. Je ressentis le heurt que je venais de m’asséner, il me fit vibrer tout entier. Il s’ensuivit une course effrénée, où j’eus peur des sensations que me procurait mon propre élan.

Mais cette phase de stupeur s’estompa très vite, je me rendis à l’évidence que je n’avais nul autre dessein que celui de courir, toujours plus énergiquement vers un but que j’ignorais moi-même. A ma droite, je pouvais distinguer une sorte de glissière noire parfaitement régulière que ma vitesse rendait comme éthérée, l’immense champ que je foulais à vive allure ne semblait avoir ni commencement ni fin.

Essoufflé, je tentais de garder le rythme. Il me fallait me raccrocher à quelque chose pour pouvoir avancer comme ça, sans but. Et puis, la voix de Cuddy résonna dans ma tête : Pourquoi avoir cessé d’y croire ? C’est ainsi que je lâchais prise, alors que je filais comme ça à 250km/h autour du cercle, et ce fut comme une gifle qui m’aurait flanqué les larmes aux yeux.

Comprenez, comment aurais-je pu savoir exactement d’où me venait mon savoir, étant devenu un objet inanimé, mû par la volonté d’autrui ? Il m’était impossible de penser, mais les faits étaient bien là, je savais certaines choses.

Je savais par exemple que cet immense carré vert pouvait à lui tout seul résumer ce qu’était ma condition : je faisais les frais d’une promesse de vie enfermée dans un enchantement ; au fond de moi-même je n’avais pas plus fort désir que celui de m’en libérer, et pour y arriver je n’avais nul autre choix que celui d’y consentir de toute mon âme. Je ne cessais de me rabâcher que la clé résidait en l’adhésion à mes objectifs, une adhésion infinie, car seul l’infini pouvait recevoir l’infini de tout accomplissement.

C’était sans aucun doute cette pensée qui m’aidait à tenir, alors que je me précipitais hors d’haleine vers de multiples collisions. Je présageais que chacun des heurts que j’endurerai ne servirait finalement qu’à m’orienter vers mon but final.

C’est alors que je vis ma cible, elle était là, face à moi. Ni plus ni moins qu’une autre à laquelle je devais faire face. Ayant atteint une vitesse vertigineuse, je me ruais vers elle et la percutais de toutes mes forces décuplées. Le télescopage fut d’une rare brutalité et l’onde de choc se répercuta dans tout mon corps.

Je ne me repris conscience que lorsque j’eus la sensation de tomber dans un trou noir. Ce genre de sensation qui vous prend parfois lorsque vous vous trouvez aux portes de l’endormissement. Mes mains furent la première chose que je vis, elles étreignaient les bords de la table si fort que mes jointures en étaient devenues livides. Très vite, je me rendis à l’évidence, le plateau s’était arrêté de tourner. La boule s’y était immobilisée, stoppée net dans son élan par la seule force de ma volonté. Avais-je réussi ?

Le sept, rouge, impair et gagne ! Rugit-le croupier.

Je me levais, sous les sifflements admiratifs et les applaudissements, pour lui serrer la main, tandis qu’il me remettait mes jetons. J’en glissais quelques uns dans sa poche et pris la direction du bar.

Ce n’est qu’alors que j’eus le réflexe de compter. On m’avait remis huit jetons azur légèrement striés de blanc, quelques oranges et rouges rayés de jaunes. Je dû m’y reprendre à maintes reprises, pourtant le calcul était simple : je venais de remporter 250 000 dollars, soit trente-cinq fois ma mise de départ.

En proie à une sorte de vertige, je commandais un double Chivas Royal, et trinquais seul.

* Je t’ai jeté un sort.

( à suivre )