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My own private keepsake
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#greghousediary : To be or not to be

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To be or not to be

Ce midi, à la cafet’, une ménagère de plus de cinquante ans, de style bigot, est venue me saluer avec des airs affectés alors que je déjeunais avec Wilson. Je devais apprendre un peu plus tard que cette brave dame était l’épouse de James Horwell, un de nos plus prestigieux membres bienfaiteurs.

« Dr House ? A t-elle demandé en m’appréhendant. Je tenais à vous féliciter pour votre intervention magistrale et passionnante de l’autre soir.

Je me suis levé, un peu empêtré entre ma canne et la table encombrée, pour lui toucher succinctement la main. Mon regard devait en dire beaucoup plus que ce que la bienséance m’autorisait : j’ai horreur de ce genre de civilité fausse, et d’autant plus lorsque je suis à table.

- C’est bizarre, a-t-elle dit avant de me quitter, me détaillant comme si je sortais d’une fosse à purin. J’ai eu beaucoup de mal à vous reconnaître…

Lorsque je me suis assis à nouveau, et qu’elle se fut un peu éloignée, Wilson, le regard amusé a cru bon de me faire la morale.

- Tu devrais soigner ton look, tu sais, m’a-t-il conseillé. Certains clodos sont encore mieux sapés que toi. Passe encore que tu refuses le port de la blouse, mais les chemises froissées, les t-shirts délavés, ça ne pousse pas vraiment à la confiance.

Prenant un air faussement surpris, j’ai fait mine de m’examiner sous toutes les coutures sans rien trouver à redire.

- Excuse moi de ne pas avoir bâti ma notoriété sur ma façon de porter un complet veston Armani, ai-je répliqué. Est-ce la tenue qui fait le médecin ? Dans quel module ils abordaient la question, déjà, à la fac ?

Wilson a levé les yeux au ciel.

- Je sais bien que le Grand Gregory House se passe de toutes les convenances existantes, a-t-il dit, mais malheureusement l’image est quelque chose de capital. Par exemple, est-ce que tu ferais confiance à un dentiste à qui il ne resterait qu’un malheureux chicot ?

Je venais de mordre dans mon hamburger. Lorsque j’ai répondu, la bouche pleine, Wilson a subrepticement reculé sa chaise.

- Pas si la seule dent qui lui reste est fausse, non.

Dans la foulée, j’ai englouti plusieurs gorgées de mon milk-shake. Wilson me toisait maintenant comme s’il venait de décider que mon cas était désespéré.

- Je trouve ça marrant, cette fixation que vous faites, vous autres, sur les apparences, j’ai continué. Tu sais, moi aussi j’ai mes propres critères, et ils sont tout aussi valables, bien que non fondés sur des considérations hygiéniques ou esthétiques à la mord moi le nœud.

- Je serais curieux de les connaître, a répondu Wilson, amusé.

J’ai englouti une énorme bouchée de donut avant de répondre, les yeux dans les yeux de Wilson.

- La confiance n’est pas une affaire de bon look. Tu te souviens du toubib dans The Love Boat ?

Wilson, moqueur, a réprimé un éclat de rire derrière sa main.

- Adam Bricker… Comment contrecarrer une telle référence ? A-t-il plaisanté.

J’ai pris le même ton docte que celui que j’avais adopté en amphithéâtre deux jours auparavant.

- Je peux t’assurer que pour être un médecin crédible lorsqu’on exhibe aussi pitoyablement ses genoux cagneux en bermuda, faut y aller ! Et je parle même pas du fait qu’il avait peur de son ombre. Ce type était un anti-médecin, quand on y pense.

- Mais dans le cas de The Love Boat, la question de confiance ne se pose même pas : Bricker était le seul généraliste à bord… On était forcément obligé de faire appel à lui.

J’ai secoué négativement la tête, fidèle à mon raisonnement.

- Non. Le fait est que ce type inspirait vraiment confiance. Il aurait pu te convaincre de te monter lui-même, entre deux escales, un anus artificiel à base de cartilages de requins pour une simple crise d’hémorroïdes passagère. Ce type savait amadouer, séduire, persuader, c’est un fait.

- Et tu expliques ça comment ? M’a demandé Wilson, pensif.

- Il avait le truc.

- Le truc ?

- Oui, le petit détail qui fait que l’on est prêt à lui accorder crédit, le genre de chose qui le distingue des autres et qui montre qu’il est fort d’un savoir que les autres n’ont pas.

Et comme Wilson demeurait perplexe :

- Des énormes lunettes, avec une monture écaille, ai-je annoncé fièrement. C’était son signe distinctif. A croire qu’il était né avec tellement elles lui collaient à la peau…

- On peut même dire qu’elles avaient une longueur d’avance sur lui, question croissance, a complété Wilson, gaiement.

- Toujours est il que ce genre de détail a son importance. Sans le savoir, chacun cherche à imposer à la vue d’autrui le truc qui le démarquera automatiquement en tant que médecin. Si on considère que tout le monde est en blouse blanche à l’hôpital, qu’est ce qui différencie un médecin d’un aide soignant aux yeux d’un patient ?

Tout en posant ma question, j’avais entrepris de siphonner le fond de mon gobelet de milk-shake, à grandes aspirations bruyantes, et encore une fois, beaucoup de regards convergèrent vers notre table.

- Les médecins mangent comme des porcs ? A avancé Wilson, un peu mal à l’aise.

De la tête, j’ai fait signe que non, masquant avec peine un rot.

- Tu as ceux qui exhibent leur stéthoscope à longueur de journée, ai-je exposé. Si tu observes Foreman, il l’utilise comme écharpe. Il doit l’enfiler directement après sa cravate, le matin. C’est son truc. En tant qu’homme de couleur il n’aimerait pas qu’on le situe d’office en bas de l’échelle. Chase aussi a eu sa grande période stéthoscope. Il en est revenu pour quelque chose de plus subtil… Mais Chase était un peu à part déjà : il le gardait dans sa poche, ne le sortait que lorsque c’était nécessaire, genre : « Eh salut les gars, je suis toubib mais je suis cool ! »

Wilson, d’un air faussement dépassé, a pris sa tête dans ses mains, sans cesser de sourire. J’ai poursuivi :

- Parmi ceux qui ont aussi opté pour le détail subtil, tu as Taub, Thirteen, Kutner et Cameron. Pour leur part, ils se contentent d’aligner une armada de stylos dans la poche pectorale de leur blouse. Ils disent clairement à qui les regarde : ce qui nous différencie du personnel en blanc, c’est que nous, on rédige des ordonnances. Et il est bien connu que les ordonnances se rédigent de quatre couleurs différentes.

Wilson, gêné, a porté son regard sur sa propre poche, elle-même garnie d’une demi douzaine de feutres à bille. Nos regards se sont croisés, mais je n’ai pas cillé.

- Ce qui m’amène à me poser la question suivante, ai-je enchaîné. Est ce que la bonne image ou la notoriété d'un médecin est accrue par le nombre de stylos présents dans sa poche ? En admettant que ce soit le cas, certains ont beaucoup de souci à se faire, on peut vraiment dire qu’ils ne lésinent pas sur les signes extérieurs. Taub et Chase ont indiscutablement des choses à se prouver, tandis que Cameron a adopté le style détaché, avec seulement un stylo à son palmarès.

J’ai essuyé mes lèvres d’un revers de manche. Wilson me dévisageait d’un air absorbé mais aussi avec une sorte de considération réjouie. Apparemment, je l’avais convaincu.

- Et c’est quoi alors, ton truc, à toi ? M’a-t-il demandé, nonchalamment.

- Moi ? Je me contente de sauver des vies et de faire mouche quatre vingt dix neuf fois sur cent. » Ai-je répliqué.

Il a bien tenté de répondre un truc, mais sa verve habituelle lui a fait faux bond.

J’ai cueilli ma canne qui reposait contre la table, me suis levé, et l’ai planté là, d’un air royal. Parfois, malgré ma patte folle, il m’arrive de me sentir aérien.